Journée dense et riche aujourd’hui !
Décollage d’Essaouira dans une belle brise, avant de virer à gauche pour rejoindre la côte et les plages, à 1 000 ft, jusqu’à la piste de Tan Tan.
Escale nécessaire au ravitaillement de certains appareils. L’Antonov a quant à lui mis le cap sur Agadir pour embarquer une équipe de France 2 qui suivra le Raid jusqu’à Dakar, en vue d’un reportage pour le « Feuilleton » du journal de 13h (diffusé la semaine du 26/10).

Après Tan Tan, de surprenantes falaises érodées par les vagues, laissent place à des pitons rocheux et à de vastes cavernes. A l’Est, le désert avec quelques cabanes de pêcheurs, parfois un village ou un complexe hôtelier, incongru dans un tel paysage. En survolant ces étendues désertiques interminables, on réalise l’exploit qu’effectuait chaque jour les pilotes des Lignes Latécoère et Aéropostale… Plages, falaises, déserts immenses,… des paysages grandioses que les équipages ne sont pas près d’oublier.
Tout comme l’atterrissage sur la piste de sable de 700m de long, de Tarfaya – Cap Juby, rendue particulièrement mythique par Saint-Exupéry, chef d' »Aéroplace » de 1927 à 1929. Dès l’arrivée des petits avions, sur cette fameuse escale sud marocaine de ravitaillement des lignes de l’Aéropostale, des dizaines d’enfants sortent d’on ne sait où, les yeux écarquillés.
Il y a aussi de grands gamins. Tous souhaitent se faire photographier près ou dans les avions… « Et on est heureux de leur offrir un tel plaisir » s’enthousiasme, Christiane membre d’équipage du Cirrus SR20 (de l’Aéroclub Marcel Dassault de Nangis).
Lorsque l’Antonov se pose, c’est un nouvel événement que personne alentour n’a voulu rater !
A quelques encablures du terrain, la petite ville de Tarfaya offre aux voyageurs son Musée de Saint-Exupéry et son Fort historique, auquel était accolée la Maison du personnel de Latécoère – Aéropostale.
Le dîner local est précédé d’une conférence particulièrement documentée et vivante de Bernard Bacquié, sur “l’histoire de Tarfaya-Cap Juby”. Ancien pilote Royal Air Maroc et ancien commandant de bord Air France, Bernard Bacquié est devenu auteur-éditeur, spécialisé dans les romans historiques et essais sur l’épopée des Lignes Latécoère – Aéropostale. Son dernier ouvrage « Saint-Ex au Maroc » est centré sur les différents passages d’Antoine de Saint Exupéry au Maroc.
Pour commander les ouvrages : https://www.editionslaterales.com/accueil.html
Un peu d’histoire :
La reconnaissance des points de soutien intermédiaires sur Casablanca-Dakar n’était pas sans difficulté, nécessitant tant des connaissances géographiques qu’une expérience diplomatique et militaire.
A la demande de P.-G. Latécoère, le Maréchal Lyautey détache un officier, le capitaine Joseph Roig, qui dès décembre 1922 planifie une exploration du tronçon de 1500 km avec l’aide des autorités espagnoles qui contrôlent le territoire.
Au mois de Janvier 1923, le Capitaine Joseph Roig accompagné par le capitaine espagnol Cervera arrivent aux Canaries, d’où ils rejoignent Cap Juby par voilier à moteur.
Durant les trois mois suivants, ils reconnaissent le parcours de la ligne jusqu’à Saint Louis et établissent des accords de principe avec cinq tribus Maures pour l’assistance des aviateurs en détresse.
Le 3 mai 1923, le premier vol d’étude Casablanca-Dakar est effectué avec trois Bréguet 14.
Les pilotes sont Louis Delrieu, Robert Cueille et Victor Hamm. Deux mécaniciens et deux passagers, dont Roig les accompagnent.
Ils rallient Dakar via Agadir, Cap Juby, Villa Cisneros et Port Etienne.
Tout se passe bien, en partie grâce à la prévoyance de Roig qui a fait amener ravitaillement et carburant par bateau à Cap Juby et Villa Cisneros.
Ce sera désormais la pratique courante pour maintenir ces escales, mais les installations permanentes prennent du temps.
Dans tout le Rio de Oro des rapports font état de ravitaillement et d’essence amenés par bateau à Juby, Cisneros et Port Etienne.
Mais les ouvriers craignent des attaques maures et refusent souvent de venir travailler à l’aménagement du terrain.
Une attaque à Juby dégénéra en une bataille rangée entre les troupes espagnoles et les attaquants maures.
Les travaux d’aménagement sont interrompus.
De plus, durant l’été 1925, les mécaniciens nouvellement installés à Villa Cisneros doivent partir pour des raisons politiques (L’impact de la guerre du Rif sur les relations franco-espagnoles), avant d’y revenir bien plus tard.
Les installations des Lignes Latécoère consistèrent d’abord en une baraque Adrian, sorte d’abri en bois utilisé pendant la Grande guerre, installée près du fort pour le personnel.
Plus tard, un Bessoneau bâché (sorte d’entrepôt militaire démontable) y est ajouté pour le matériel.
Comme ils ne sont pas dans l’enceinte du fort espagnol qui est fermé la nuit, le chef d’escale imagine un système d’alarme en reliant une hélice tournant dans le vent quasi constant et fixée à un magnéto et à la poignée de la porte.
Tout intrus tentant d’ouvrir la porte, prenait alors un choc électrique!
Une sentinelle armée gardait en permanence les stocks d’essence et d’huile de moteur.
Des installations similaires furent érigées à Villa Cisneros et à Port Etienne, inspirées par les dispositifs de phares installés en France (à Bordeaux, Toulouse, Carcassonne, Narbonne, Le Perthus).
On ajouta plus tard, sur les trois escales, des phares de navigation à haute puissance pour guider les aviateurs la nuit. Lorsque le groupe électrogène tombait en panne, le personnel allumait des feux d’essence disposés en triangle, dont la pointe indiquaient le sens de l’atterrissage. Un dispositif similaire fut introduit aux escales du Sénégal.
Ce sera une des sources d’ altercations et même de morts de pilotes aux mains de tribus Maures, ainsi que de la captivité, pendant trois jours, de Mermoz.
En effet, les tribus considéraient celà comme une ingérance sur leur territoire.
N’oublions pas celle de Marcel Reine qui, avec l’ingénieur radio Serre, passe près de trois mois en captivité.
Pour être certain d’éviter des incartades avec les Maures, ou même de trouver des alliés (sous formes d’interprètes), les pilotes et chefs d’escales en emploient à des menus travaux pour s’assurer de leur neutralité. Ce faisant, ils s’inspirent des troupes espagnoles qui achétent le poisson frais chez quelques Maures soumis, ou le sutilisent au déchargement des bidons d’eau fraîche amenés par bateau des îles Canaries. En revanche, la nourriture des aviateurs est acheminée avec le courrier depuis Casablanca. Mermoz, affecté à Cap Juby en rotation hebdomadaire en 1927, note l’ennui qui sévit, et que l’on trompe tant bien que mal. Pour passer le temps, il dort quatorze heures par jour et apprend la cuisine grâce à un manuel qu’il a amené… (Mermoz, correspondance, p. 206). Ses descriptions des limites de leur « liberté » concordent avec celles de St Exupéry, qui plus tard deviendra chef d’escale de Cap Juby.
Dans une lettre à sa mère, St. Exupéry, alors chef de l’aéroplace, note bien le mélange bizarre que représente une affectation à Cap Juby:
« ici on rigole bien (…) et on peut aller sans danger jusqu’à la mer. Ça fait au moins vingt mètres.
Je fais cette promenade plusieurs fois par jour. Mais si tu t’éloignes plus de vingt mètres tu reçois des coups de fusil.
Et si tu dépasses cinquante mètres, on t’envoie rejoindre tes aïeux (…) »